#16 – Nancy Fraser : repenser ensemble redistribution et reconnaissance (suite) : la question des remèdes

Ce post est la suite de l’article #15 intitulé Nancy Fraser : repenser ensemble redistribution et reconnaissance – Les dilemmes de la justice sociale

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Il faut maintenant montrer comment la théorie de Fraser peut s’appliquer concrètement dans la pratique en lui donnant la possibilité d’un soupçon de réalisme. La question est de savoir « quels sont les dispositifs institutionnels qui peuvent infléchir simultanément les injustices de statuts et les injustices de classes. »[1]

Fraser oriente nettement sa préférence pour les stratégies de type transformateur. Seulement, comme nous avons pu l’évoquer en filigrane, celles-ci semblent difficilement applicables étant donné le contexte actuel. On peut alors concevoir que des stratégies correctrices ou réformistes peuvent avoir, à plus ou moins long terme, des effets transformateurs. Ce type de remède est appelé « réforme non réformiste ». Il est considéré comme une voie médiane entre le remède correcteur et le remède transformateur. C’est ainsi que Fraser prend l’exemple de l’allocation universelle (voir à la fin du post, pour poursuivre sur ce point). Il s’agit, selon elle d’attribuer à l’ensemble de la population un revenu minimum à vie dans un but tout d’abord correcteur d’inégalités économiques. A long terme, une transformation peut s’opérer en abolissant la marchandisation du travail.

Comment une réforme non réformiste peut-elle s’appliquer dans le cas du racisme ou du sexisme ? Si « la stratégie de la réforme non réformiste combine la plausibilité de la correction avec la force radicale de la transformation », il reste à montrer désormais la pertinence de celle-ci dans le cadre de la lutte contre le racisme et le sexisme et les discriminations qui en découlent.

Nous avons déjà pu voir que l’idée d’affirmer la différence pouvait avoir des effets de réification, d’essentialisation des identités et de polarisation entre les groupes. Cependant, on peut admettre avec Gayatri  Spivak la validité « essentialisme stratégique »[3] qui serait de type transformateur à long terme, mais qui demeure une stratégie non déconstructiviste. Ainsi l’affirmation de la différence, par exemple, des minorités non blanches pourrait donner les moyens à celles-ci d’être revalorisées culturellement puis économiquement. Or, si l’on considère comme Fraser et comme les tenants de « lessentialisme stratégique » qu’en finalité, la race comme le genre peuvent faire l’objet d’une déconstruction, c’est-à-dire d’une possibilité pour chaque individualité culturelle de se sentir « comme elle le souhaite » à tel moment, on objectera avec Fraser elle-même que dans le contexte actuel que le genre et par analogie la race sont de toute manière considérés comme des données naturelles et donc inamovibles. Dès lors, l’essentialisme stratégique finira par redevenir un véritable essentialisme au sens propre.

Pour Fraser, il s’agit plutôt de faire disparaître les disparités dans le cas de discriminations institutionnalisées contingentes. Face à des torts institutionnalisés, il faut des mesures institutionnelles adaptées aux situations. Prenons l’exemple de « l’affaire du foulard » en France dans laquelle il s’agissait de bannir au nom de la laïcité le port du hijab au sein des écoles publiques. Ici, on pourrait certes penser qu’il s’agit davantage de problèmes liés à des discriminations culturelles qu’à des problèmes raciaux mais ces derniers sont recouverts de la même manière que les premiers par une construction sociale et non naturelle. Dès lors, il semble qu’il ne soit pas impertinent dans cette perspective seulement de parler de problèmes culturels ou religieux comme s’il s’agissait de problèmes raciaux et vice-versa. Dans ce cas précis et non adaptable à un autre, il ne peut pas s’agir d’introduire une déconstruction des rapports entre musulmans, chrétiens, ou autres, mais de faire en sorte que les institutions ne produisent pas de subordinations statutaires et de favoriser et de banaliser de la sorte et selon les termes de Fraser un islam libéral dans une identité nationale française reconstruite et intégratrice[4].

On voit ici que dans cet exemple proposé par Fraser, nous ne nous situons pas dans un axe radical de stratégie transformatrice mais dans le cadre d’un projet certes plus modeste mais toutefois plus réaliste ; et tout aussi efficace à première vue pour abolir la subordination statutaire. Comme le précise Fraser, une stratégie de réforme non réformiste ne fait que présenter une méthode formelle mais n’en précise ni n’en préconise un contenu, c’est en fonction du contexte que l’on doit décider de mener telle ou telle action.

Formellement, la réforme non réformiste doit prendre en compte deux exigences : un « croisement des solutions » et une « conscience des démarcations ».

Le « croisement des solutions » correspond à la nécessité de se rappeler que les subordinations statutaires sont souvent corrélées avec des inégalités économiques et vice-versa. Pour ce faire, – Fraser montre que des politiques de reconnaissance peuvent être employées pour résoudre des injustices de distribution. Il en est ainsi de solutions qui en abolissant les subordinations statutaires permettraient une revalorisation des minorités méprisées et pourraient alors leur faciliter l’accès à l’emploi ou au logement en leur évitant à plus ou moins long terme les discriminations. De même, on doit pouvoir admettre des stratégies de redistribution pour redresser les dénis de reconnaissance. Par exemple, il ne doit pas s’agir d’allouer des revenus sociaux de manière spécifique à des populations pauvres (ce qui constitue une illustration de ce qu’éviterait une « conscience des démarcations » – c’est-à-dire du fait de se rendre compte que certains remèdes ici correctifs peuvent entrainer des effets indésirables de déni de reconnaissance, il faut être à cet égard subtilement pragmatique), ce qui peut leur donner une réputation de personnes assistées et les voir être méprisées pour cela, mais d’allouer à tous une allocation.

Selon Fraser, c’est donc en harmonisant la distribution des ressources économiques qu’il peut-être, en outre, possible de contribuer à abolir les discriminations raciales ou sexuelles. Une allocation universelle semble être à cet égard un bon moyen d’y parvenir.

– Au sujet de l’allocation universelle, vous pouvez consulter les articles suivants :

#10 – Allocation universelle et liberté réelle : la perspective de Philippe Van Parijs et son dilemme

#11 – L’allocation universelle, une voie vers l’autonomie sociale et économique ?

#12 – Capitalisme cognitif et allocation universelle

#13 – Allocation universelle, reconnaissance et domination dans le cas du sexisme et du racisme


[1] Fraser (2005) Page 94.

[2] G.C Spivak & Ellen Rooney, « In a word: interview », Difference, 1-2, 1989, pages 124-156.

Biblio

Nancy Fraser (2005) Qu’est que la justice sociale ?, La découverte

#12 – Capitalisme cognitif et allocation universelle

Disciple de Toni Negri, Yann Moulier-Boutang a développé à partir des thèses de ce dernier l’idée que le capitalisme est en train de subir une transformation nouvelle, succédant ainsi au capitalisme marchand du XIIIème siècle et au capitalisme industriel des XIXème et XXème siècles. Cette troisième forme de capitalisme se caractérise comme « cognitif ». L’idée du capitalisme cognitif est celle d’un travail plus immatériel et se rapportant davantage à un savoir abstrait. La fin du XXème siècle a, selon Negri ou Moulier-Boutang, vu se réduire la proportion d’un prolétariat encadré et manuel au profit de salariés autonomes disposant d’un savoir à la fois manuel et intellectuel, rassemblés sous cette nouvelle forme de travailleurs et nouveaux sujets de l’émancipation, le  « cognitariat »[1]. Cette interprétation de l’évolution du capitalisme émane d’une lecture du « fragment sur les machines » extrait des Principes d’une critique de l’économie politique de Marx, plus connu sous le terme de Gundrisse. Il s’agit notamment de ce passage : « le développement du capital fixe montre à quel point l’ensemble des connaissances (knowledge) est devenu une puissance productive immédiate, à quel point les conditions du processus vital de la société sont soumises à son contrôle et renforcées selon ses normes, à quel point les forces productives ont pris non seulement un aspect scientifique, mais sont devenues des organes directs de la pratique sociale et du processus réel de l’existence. »[2]

Le savoir abstrait tend à devenir la principale force productive du capitalisme. Il apparaît un general intellect, c’est-à-dire un savoir généralisé et producteur de richesses qui devient le nouveau facteur d’exploitation du capitalisme cognitif. Les biens et services sont produits à l’aide de connaissances beaucoup plus précises et spécifiques qu’auparavant. Même les travaux les plus simples sont soumis à des rationalisations techniques qui procèdent de savoirs théoriques. Les nouveaux producteurs de ces savoirs ne rentrent plus dans le cadre d’un travail normé par des horaires fixes et l’accomplissement de tâches répétitives et réparties entre les salariés. La frontière s’estompe entre le travail et le hors-travail. Razmig Keucheyan précise et exemplifie : « la production de biens matériels suppose l’effectuation d’une série de tâches plus ou moins complexes mais délimitées. Ces tâches s’effectuent sur le lieu du travail […] Dans la production de biens à forte teneur cognitive, la mesure du travail entre en crise. Un intermittent travaillant dans le domaine du théâtre participera certes à des répétitions commençant et se terminant à certaines heures. Mais une part essentielle de son travail consistera, par exemple, à apprendre le texte de la pièce qu’il joue, travail qui s’effectuera probablement chez lui, et qu’il est impossible de mesurer précisément. »[3] Le travail s’échappe du cadre traditionnel dans lequel il est habituellement établi. La valeur du travail est subvertie. On ne peut plus soutenir, avec Marx, que ce qui constitue la valeur d’une marchandise est réalisée à partir de la quantité de travail, car derrière, se rajoute l’importance d’une valeur-savoir. Le salaire ne permet plus de rendre compte du travail réellement effectué. C’est pourquoi défendre l’allocation universelle ou plutôt l’idée d’un revenu d’existence[4] est pertinent selon les partisans de cette optique théorique. Un revenu garanti permet de pallier cette nouvelle forme d’exploitation qui est celle du « cognitariat ». Le revenu doit dès lors être détaché du travail.

S’il n’est pas sûr que le plein emploi soit derrière nous, il est encore plus incertain que l’ère cognitive du capitalisme soit devant nous. Telle est la principale critique que portent les détracteurs de ce renouveau conceptuel. L’économiste Michel Husson pointe avec justesse que le « courant du capitalisme cognitif est très représentatif d’une méthode consistant à vouloir être moderne et novateur à tout prix, en prenant donc le risque de monter en épingle un aspect de la réalité sociale étudiée. Une telle entreprise s’accompagne en général d’un certain éclectisme consistant à mobiliser tout de qui peut aller dans le sens de la nouveauté. »[5] Si on ne peut nier que le travail s’est transformé et s’est manifesté sous des formes immatérielles et technicistes, la majorité du salariat reste soumis à des contraintes dans son activité qui n’engage guère une acquisition grandissante d’un savoir. Le cognitariat est une minorité qui ne peut prétendre à l’universalité, par conséquent, la proposition d’une implémentation d’un revenu garanti pour tous ne paraît pas, dans cette unique perspective, particulièrement pertinente. Si l’on analyse plus précisément la question, on remarque que le capitalisme intègre en lui-même un caractère cognitiviste, le taylorisme qui a façonné le travail industriel de masse au XXIème siècle en est un produit remarquable. Et comme l’indique Keucheyan, les partisans de la version cognitive du capitalisme sont incapables d’élargir leur interprétation à l’échelle mondiale et se restreignent aux pays développés. Or, la majorité de la population mondiale travaille dans des conditions qui rappellent l’exploitation du prolétariat telle qu’elle est classiquement analysée par le marxisme.

Défendre l’allocation universelle en ce sens paraît donc hasardeux.


[1] Y. Moulier-Boutang, « L’autre globalisation : le revenu d’existence inconditionnel, individuel et substantiel », Multitudes, 2002, n°8, page 33.

[2] In Karl Marx, Œuvres, vol. II, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1968, page 207.

[3] R. Keucheyan, Hémisphère gauche, une cartographie des nouvelles pensées critiques, La Découverte, Zones, Paris, 2010, page 115.

[4] Ce qui appuie l’idée que le revenu est un droit accordé par le fait même que l’on existe.

[5] M. Husson, Sommes-nous entrés dans le « capitalisme cognitif » ?, in « Critique communiste », n°169-170, 2003.

#11 – L’allocation universelle, une voie vers l’autonomie sociale et économique ?

Selon le mode de financement, l’allocation universelle (ou A.U) peut présenter un amendement intéressant à l’Etat-providence. Si son financement est réalisé à partir de l’exploitation de ressources naturelles, comme en Alaska, elle vient s’ajouter aux revenus de tous, riches et pauvres. Il s’agit dès lors d’un mécanisme de distribution et non de redistribution.

Pour les libertariens de gauche, l’allocation universelle est un bon moyen de distribuer les ressources de ce qu’il considère être une propriété commune à tous les êtres humains : c’est-à-dire la planète sur laquelle ils vivent[1]. Nous avons affaire en ce sens à une sorte de redistribution puisque les propriétaires terriens les plus avantagés doivent s’astreindre d’une taxe qui permet de verser à tous une compensation pour cette appropriation dont ils ne peuvent profiter directement. Il s’agit dès lors moins d’un souci de justice sociale que d’une revendication morale à la propriété commune. De plus, le libertarisme de gauche se contredit dans son ambition à la fois libertarienne et égalitaire. En effet, l’Etat demeure un intermédiaire entre les propriétaires fonciers ou ceux qui possèdent davantage que leur part originelle et ceux qui n’ont rien ou presque. Un libertarien ne peut être cohérent s’il approuve cet état de fait tout en faisant valoir la propriété de soi, même s’il donne une base argumentative différente à celle d’une exigence de solidarité.

Financée aussi par l’impôt, l’A.U peut devenir un mécanisme de redistribution et s’intégrer dans un champ de justice sociale telle que nous l’avons développée dans les deux premières parties. De la sorte, nous devons définir comment l’A.U pourrait amender l’Etat-providence en ce qui concerne ses domaine d’intervention habituels : lutte contre le chômage, la pauvreté, la maladie, etc.

Dans une optique économiquement libérale telle que rapportée par Van Parijs (voir article précédent), un argument en faveur de l’A.U intégrée à l’Etat-providence peut être avancée en termes d’efficacité financière. En effet, la pluralité des allocations distribuées aux citoyens demande un fonctionnement administratif très important et par-là couteux à entretenir. De plus, les organismes sont séparés et donc par-là les informations à leur disposition, la prise en compte des situations individuelles n’est pas optimisée, on perd donc en efficience. Cela peut entraîner des périodes d’attentes très longues pour les prestataires. Enfin, la conditionnalité des allocations rend nécessaire le contrôle des ressources, cela représente du temps et de l’argent. L’instauration d’une A.U permettrait donc d’économiser substantiellement les coûts de financement de l’Etat-providence.

Précisons toutefois que cette économie sera d’autant plus grande que l’Etat-providence sera démantelé. La nécessité de préserver une sécurité sociale conséquente est contredite avec cette exigence que l’on ne peut accepter aux vues de notre conception de la justice sociale. Avant de revenir sur ce point, présentons un second argument qui concerne ce qu’on appelle les trappes du chômage et de la pauvreté.

François Blais distingue des « pauvres inactifs »[2] et des « pauvres actifs ». Cette distinction lie la dimension de la pauvreté à celle du chômage. Parmi les premier, on retrouve des pauvres inactifs du fait de handicaps physiques tel que la cécité, mais aussi des inactifs[3] qui sont aptes au travail mais qui ne sont pas en mesure d’occuper un emploi pour des raisons volontaires ou involontaires. Les raisons volontaires – du moins déterminantes –  peuvent être liées au fait qu’il peut être plus avantageux de ne pas travailler.

Les seconds sont tout simplement des travailleurs pauvres. Ceux-ci peuvent gagner un revenu équivalent aux pauvres inactifs, ce qui peut expliquer que certains préfèrent rester au chômage. Comme l’écrit Blais, « le fait de posséder un emploi, même à plein temps, ne représente plus du tout une assurance contre la pauvreté. »[4]

L’Etat-providence est ainsi justement accusé de produire des pièges ou trappes de la pauvreté et du chômage. Les dispositifs de transferts sociaux couplés à ceux de la fiscalité produisent des effets pervers qui enferment les plus pauvres, et plus particulièrement les inactifs. En effet, une personne qui choisit de travailler peut devenir imposable et voir ses coûts se multiplier en comptant les frais liés au nouvel emploi (transports, vêtements, gardes des enfants, pertes d’avantages tels que la couverture universelle maladie en France, etc.). Une telle personne ne verra pas ses revenus augmenter de manière conséquente pour envisager comme rentable d’occuper un emploi. Cela produit des résultats malheureux à la fois au plan économique, puisque pauvreté et chômage stagnent ou augmentent et de manière plus insidieuse au plan de la reconnaissance sociale puisque les pauvres inactifs sont figés dans une identité d’assisté et stigmatisé, entre autres, par ceux qui travaillent mais qui restent pauvres, par des employeurs peu confiants, voire de manière plus médiatique par des personnalités politiques. En ce sens, l’Etat-providence produit des effets totalement indésirables et contre-productifs.

Il faut donc trouver un moyen de préserver la dignité et la satisfaction des besoins des inactifs les plus pauvres tout en favorisant l’incitation au travail pour résorber le chômage et accroitre le revenu de ceux qui ont choisi de travailler.

L’idée d’instaurer une A.U peut être un instrument intéressant de parvenir à ces objectifs. D’une part, une A.U garantit à tous un revenu minimum ; d’autre part, elle est cumulable avec les revenus du travail, de ce fait il sera toujours plus intéressant pour un individu de travailler pour faire croitre son revenu. La trappe du chômage peut dès lors être annulée. Occuper un emploi même à faible rémunération – car peu productif par exemple – sera toujours plus intéressant pour une personne qui disposera d’une A.U plutôt que d’être soumis à des aides sociales conditionnées. Au sujet de de la responsabilité individuelle, la question est évacuée car l’allocation est inconditionnelle. Il n’y pas plus à se demander si le chômage est « volontaire » ou non, si un tel mérite ou non ses allocations. Aussi et comme le souligne Van Parijs et Vanderborght, « versé automatiquement à chacun sans égard pour sa situation et ses ressources, l’allocation universelle a sous cet angle le grand avantage de fournir à ceux dont le statut professionnel est précaire un socle ferme sur lequel ils peuvent s’appuyer. Tous sont assurés, quoiqu’il arrive, de bénéficier de leur droit au revenu minimum, que ce soit en complément d’un salaire ou comme seule ressource garantissant la subsistance. »[5]

Pour l’économiste Denis Clerc, ce qui paraît constituer «  un mignon conte de fées cache » en réalité « une vilaine histoire de sorcières. »[6] En effet, selon l’auteur, si l’on remplace les minimas sociaux par une allocation universelle afin d’assurer plus efficacement son financement, les plus pauvres resteront les perdants voire même davantage puisque leur revenu brut aura diminué. De plus, nous y reviendrons, Clerc s’oppose à ceux qui pensent à l’instar de Yoland Bresson que « le plein emploi est fini », que le chômage est aujourd’hui un facteur inhérent de nos sociétés avec lequel il faut composer. Enfin, l’économiste – tout en admettant de pousser au paroxysme son raisonnement – est relativement sévère avec la version de l’allocation universelle élaborée par Van Parijs. Pour Clerc, si Van Parijs souhaite l’instauration d’une A.U, c’est pour mieux favoriser le démantèlement de l’Etat-providence classique et rendre flexible au plus haut point le droit du travail : « avec un revenu d’existence, plus besoin de salaire minimum : le travail peut redevenir une marchandise comme les autres. C’est d’une simplification drastique de l’ingénierie sociale de nos sociétés qu’il rêve : moins d’intervention publique, plus d’autorégulation par le marché. » Nous avons vu que si le jugement de Denis Clerc est sévère, il n’est pas sans impertinence aux vues des ambiguïtés qui jonchent la justification de Van Parijs au profit de l’A.U.

Nous allons revenir sur la question de l’Etat-providence à travers l’analyse du droit au travail et de la défense d’un droit au revenu par des penseurs d’une version autonomiste de l’A.U. Avant cela, nous devons nous interroger sur la définition même de la pauvreté afin d’étudier l’adéquation de la mise en place d’un revenu garanti avec l’ambition d’une émancipation économique.

La phénomène complexe de la pauvreté

Emanciper économiquement, c’est émanciper de la pauvreté. Toutefois, le problème est celui de penser dans le sens unidimensionnel d’une approche par les ressources. Les travaux sur l’économie du développement développée par Amartya Sen rendent compte de la nécessité de s’appuyer davantage sur une approche par les capacités (capabilities) visant à rendre les individus capables de transformer leurs ressources en fonctionnement[7]. La pauvreté ne se résume pas à la misère économique, elle se déploie autour de dimensions sociales et psychologiques. Aussi, deux individus pauvres qui possèdent deux revenus équivalents mais dont l’un souffre d’un fort handicap ne peuvent être placés sur la même échelle de misère sociale. Accorder un revenu digne à ces deux personnes laissera toujours celle qui est handicapée dans une situation de dépendance importante. Ainsi, Sen définit la pauvreté comme « un déficit de capabilités de base permettant d’atteindre certains niveaux moralement acceptables »[8]. Ces niveaux correspondent à des fonctionnements qui peuvent différer selon les sociétés. On peut toutefois déceler certains invariants de base comme le fait d’être bien nourri, logé, être en bonne santé, etc. A revenu égal, la capabilité (ou capacité) est cette faculté de transformer des ressources en fonctionnements désirables. Une approche par les capacités est plus à même de résorber la pauvreté car elle prend en compte les différences individuelles. Ces différences, dans le cas des minorités symboliques par exemple, entraînent des discriminations qui sont susceptibles de supprimer les capabilités des individus qui s’y trouvent.

Par ailleurs, le financement d’une allocation universelle qui se situerait au niveau du seuil de pauvreté serait très difficile à mettre en place comme nous avons pu le voir en fin de section précédente. Dans tous les cas, si l’outil de l’A.U pourrait être efficace pour minimiser les effets de la pauvreté, il serait loin d’être suffisant. Il est donc nécessaire de penser une véritable politique publique de lutte contre la pauvreté qui prenne en compte ses multiples dimensions. L’accès à un revenu peut être un facteur d’inclusion économique si et seulement si la société et ses infrastructures sociétales (santé, transport, éducation, etc.) sont suffisamment étendu à travers l’espace géographique ; si encore les minorités symboliques sont reconnues comme des pairs et non comme des « autres » automatiquement infériorisés. A cette condition, on peut penser avec plus de pertinence la possibilité d’une autonomie économique et sociale réellement partagée entre tous.

Droit au travail ou droit au revenu ?

Les défenseurs de l’allocation universelle sont partisans d’une déconnection entre le travail et le revenu et œuvrent ainsi dans l’optique d’un droit au revenu plutôt que d’un droit au travail.

Ce qui constitue pour certains défenseurs de l’A.U l’argument principal selon lequel le travail et le revenu doit être dissocié est l’avènement d’une société post-salariale. Nous avons déjà dit que Yoland Bresson valorisait l’A.U dans un contexte de disparation du plein-emploi. La robotisation et l’autonomisation du travail tendent à produire un chômage croissant. C’est oublier que la transformation du travail n’opère par lui-même un chômage massif mais une restructuration des secteurs vers le tertiaire et l’économie des services. A cet égard, Jean-Marc Ferry évoque l’apparition d’un secteur quaternaire qui comprend en son sein les exclus des autres secteurs. Il ne s’agit pas d’un secteur du travail qui se superpose aux premiers mais il renferme l’idée que ceux qui y prennent part fournissent « des activités personnelles et autonomes » [9]. Ce qui est produit est individualisé, il porte la marque de son auteur, « les productions, prestations ou offres en général […] sont imprégnées par la conception d’une personne singulière ». Le quartenaire contient dès lors des activités à la fois manuelles, artistiques, mais aussi relationnelles et intellectuelles. Si les fruits de ces activités peuvent être qualifiée d’autonomes, c’est parce qu’elles sont justement individuelles et personnelles. « Cela veut dire que de telles activités contribuent idéalement à la réalisation d’un choix de vie, et que leurs profils ne sont pas prédéfinis par des agences extérieures, étrangères aux sujets de ces activités. »[10] Ces activités nombreuses mais discrètes sur le plan de l’utilité sociale sont pourtant, selon Ferry, un vivier de socialisation et d’épanouissement à la fois social et personnel. L’instauration d’une A.U à un  montant conséquent pourrait permettre de légitimer et de financer ces nouvelles activités à la frontière du bénévolat et de l’expérimentation sociale, qu’elles soient pédagogiques, culturelles, artistiques, sociale, etc. Aussi, comme le note Ferry, « l’allocation universelle autorise l’échec, c’est-à-dire la poursuite des expériences sociales, là où se teste le réalisme des aspirations personnelles. »[11]

André Gorz se situe dans une perspective équivalente en distinguant travail hétéronome et activités autonomes[12]. Le travail est hétéronome car celui qui s’y tient ne le possède entièrement. Le travailleur est étranger à son propre travail. On peut considérer le travail comme un objet d’émancipation mais ce n’est pas possible à notre époque. Loin de l’autonomie, le travail n’a pour seul objet instrumental que de parvenir à subvenir aux besoins de la vie courante. Le champ d’activités autonomes tel que déployé par Jean-Marc Ferry est susceptible, à l’inverse, de redonner à des œuvres productrices un nouvel élan émancipatoire et désintéressé. On peut penser à l’hypothèse d’un monde vécu tel que théorisé par Habermas qui n’aurait pas été colonisé par la raison instrumentale et le système du marché économique médiatisé par l’argent (voir ce post : Habermas et la démocratie délibérative, partie 1 : modernité, rationalité et monde vécu). [13] Ainsi, une sphère autonome pourrait produire des « activités d’assistance, de soins, d’entraide tissant un réseau de solidarité et de relations sociales dans le quartier ou la commune.»[14] L’allocation universelle permettrait d’assurer la subsistante de ceux qui ont choisi de se désengager, totalement ou partiellement, du travail considéré comme hétéronome. Dans ce cas, l’A.U présenterait l’avantage de promouvoir une autonomie économique, et ce, dans la perspective même d’encourager une reconnaissance sociale par le moyen d’activités socialement utiles et valorisées. Le droit au revenu suppléé à un droit au travail permettrait d’élargir les champs du possibles redistributifs et de reconnaissances sociales. Ceux qui ne travaillent pas dans notre société actuelle sont enclins à être davantage stigmatisés que ceux qui travaillent. A l’inverse, dans une société visant à davantage d’autonomie à l’égard du salariat, les non-travailleurs, en exerçant des activités sociales, pourraient gagner en reconnaissance de la part de ceux qui en gagnant un revenu participeraient au financement du revenu garanti des premiers. On pourrait y voir, par l’entremise d’une coopération sociale renouvelée par la sphère autonome, la possibilité d’un cercle vertueux favorisant un éthos civil et social. L’allocation étant inconditionnelle, rien ne pourrait forcer les individus à entreprendre des tâches socialement utiles, toutefois l’assurance de toucher un revenu quel que soit  sa situation pourrait inciter, a contrario, la décision de mener ce genre d’activités.

Néanmoins, comme nous l’avons déjà suggéré, si nous nous accordons davantage sur cette version optimiste de l’A.U , nous avons déjà précisé que la manière dont était organisé, factuellement, la répartition des richesses empêchait son financement soutenable et durable (post précédent : Allocation universelle et liberté réelle : la perspective de Philippe Van Parijs et son dilemme).

Sans s’interroger sur le niveau du montant, c’est la remise en cause même du droit au travail qui inquiète certains commentateurs. Ainsi, pour Pierre Rosanvallon, l’A.U « représente la figure perverse et paradoxale de la clôture de la conception classique de l’Etat-providence »[15], ce qui conduit à la place d’une avancée du droit social à l’exclusion. Le travail doit demeurer la possibilité principale d’échapper à l’exclusion. Le travail possède qui plus est une fonction de reconnaissance : « ce n’est pas pour le droit à être logé, vêtu et nourri par un Etat-providence veillant paternellement sur les personnes que se sont battus les hommes : c’est d’abord pour le droit de vivre de leur travail, d’associer leur revenu à la reconnaissance d’une fonction sociale. »[16] Dans la vision de Rosanvallon, le travail est un facteur même de reconnaissance. Dans un sens, c’est une critique judicieuse car celui qui travaille est actuellement toujours plus valorisé socialement que le chômeur ou le prestataire d’allocations conditionnelles. Cependant, la proposition d’une allocation universelle de type autonomiste laisse la voie ouverte à d’autres possibilités de sortie de l’exclusion. Il y a un terrain d’expérimentation sociale qu’il peut être intéressant d’explorer. Robert Castel, sans s’opposer fermement à un projet de revenu garanti inconditionnel, se montre également sceptique[17]. Le travail suppose le salaire qui est « le prix d’un service rendu, mais aussi le moyen d’assurer les salariés contre les principaux risques sociaux. »[18] Dans une situation de plein emploi, cette affirmation peut avoir toute sa pertinence. Mais comme le note Castel, depuis les vingt dernières années, le statut de salarié s’est considérablement précarisé et les formes de contrat de travail tendent à garantir aux employeurs davantage de flexibilité et de minimisations des coûts. Ce nouveau paradigme salarial fragilise la situation des travailleurs. Un nouveau « compromis social » entre travail et revenu, entre protection sociale efficacité du marché, doit alors être trouvé. Pour Castel, si la proposition de l’A.U peut être généreuse, elle comporte trop de risque pour pouvoir l’accepter[19]. Utilisant des objections équivalentes à celles que Denis Clerc opposent à Van Parijs, Castel rappelle également que le montant de l’A.U serait définitivement trop faible pour permettre de subvenir dignement à ses besoins, surtout dans une vision néolibérale de sa mise en place qui supprimerait l’ensemble des allocations conditionnelles déjà existantes. Loin d’être, selon Van Parijs, une voie libérale vers le communisme (encore une fois, voir le post précédent), l’A.U serait une voie néolibérale vers un capitalisme déréglementé. Castel n’oublie pas de rappeler que Milton Friedman a défendu l’impôt négatif dans cette perspective. Enfin, il insiste sur l’importance de sauvegarder et de consolider, dans les circonstances actuelles, par la réaffirmation d’un droit du travail efficace et une diminution du temps de travail pour mieux le partager, le statut de salarié.

A suivre !


[1] Ce qui les rapproche de la justification originelle de Thomas Paine.

[2] Blais (2001) Page 32-33. Ce philosophe canadien se situe dans la lignée de Van Parijs et de sa justification de l’A.U.

[3] La définition de « inactif » est à prendre au sens plat d’une personne qui ne travaille pas. Elle ne recouvre donc pas la définition statistique et officielle qui intègre les chômeurs dans les actifs.

[4] Ibid. Page 34. Remarquons au passage que cela contredit l’argument de Van Parijs à propos des rentes d’emplois.

[5] Vanderborght & Van Parijs (2005) Pages 62-63.

[6] Clerc (2003) Page 204.

[7] Voir la biblio.

[8] Sen (2000) Page 182.

[9] J-M Ferry, « Revenu de citoyenneté, droit au travail, intégration sociale », Vers un revenu minimum inconditionnel ?, in Revue du Mauss, 1996, n°7.

[10] Ibid.

[11] Ibid.  C’est Ferry qui souligne.

[12] A. Gorz, Misère du présent, richesse du possible, Paris, Galilée, 1997.

[13] Cf. J. Habermas, Théorie de l’Agir Communicationnel,  tome I et II, Trad. Jean-Marc Ferry et J.-L Schlegel, Paris, Fayard, 1987.

[14] Gorz, loc. cit, page 150.

[15] P. Rosanvallon, La nouvelle question sociale, Paris, Le Seuil, page 123.

[16] Ibid. Page 125.

[17] R. Castel, « Pour entrer dans le XXIème siècle sans brader le XXème », Le Débat, n° 89, Paris, Gallimard, 1996, pages 90-97.

[18] Ibid.

[19] Castel évoque la version moins utopiste et plus acceptable politiquement d’une A.U relativement basse.

Bibliographie

Blais François (2001) Un revenu garanti pour tous, introductions aux principes de l’allocation universelle, Montréal, Boréal.

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Vanderborght Yannick & Philippe Van Parijs (2005) L’allocation universelle, Paris, La Découverte, coll. Repères.

Voir dans les notes, pour le reste des ouvrages cités.

#10 – Allocation universelle et liberté réelle : la perspective de Philippe Van Parijs et son dilemme

 Van Parijs et la liberté réelle pour tous

Philippe van Parijs a été, en 1984, l’un des initiateurs du « collectif Charles Fourier », créé en réponse à un concours sur l’avenir du travail proposé par la fondation du Roi Beaudoin en Belgique. Le texte proposé, rédigé en majorité par Van Parijs, propose l’instauration d’un revenu universel déconnecté du travail et remplaçant la totalité des revenus de transferts déjà existants. Le collectif remporte le prix de la fondation et crée, en 1986, un fond documentaire organisé autour d’une nouvelle association, le BIEN (Basic Income Europe Network[1]), qui a pour but d’étudier et de faire connaître les principes de l’allocation universelle.

Van Parijs a été notamment l’un des compagnons de route du marxisme analytique et du September Group initié par G.A Cohen[2]. C’est à cet égard que sa proposition d’allocation universelle (A.U) a pu être argumentée comme une voie libérale vers le communisme. Selon Van Parijs, dans sa Critique du programme du Gotha[3], Marx précise que le socialisme, défini par la propriété collective des moyens de production, n’est qu’un – mais pas le seul – moyen pour parvenir au communisme, caractérisé dès lors par le principe selon lequel chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Il s’agit d’augmenter progressivement l’A.U par rapport au revenu moyen[4], d’améliorer la qualité du travail et d’en diminuer la quantité[5]. Le travail, à terme, pourra être confondu avec les loisirs. Toutefois, contrairement à la pensée de Marx, Van Parijs ne s’oppose pas à la propriété privée et à l’économie de marché.  Si c’est le cas, c’est parce qu’il considère que la propriété est inhérente aux libertés humaines. C’est ainsi qu’il prend position en s’affirmant en réal-libertarien[6].

Au libertarisme, Van Parijs porte une critique déjà émise à l’encontre du libéralisme classique[7]. Il critique la faible – et en réalité la nulle – portée de la liberté libertarienne qui doit être entendue en tant que liberté formelle. Cette liberté formelle se définit négativement par l’absence de coercition. Chez Nozick par exemple, on parlera d’absence d’interférence dans tout ce qui a trait à la propriété de soi et à ce que l’on produit par ses propres talents. La liberté revient à ce que l’on a le droit de faire de soi-même et de ce que l’on possède et son absence se caractérise par les obstacles intentionnels ou non qui se placent devant ce droit. Or, note Van Parijs, on peut certes avoir des droits mais il faut également avoir les moyens de les rendre réels et concrets[8]. On interprétera ceci en déclarant par exemple que la liberté formelle ne favorise que les plus riches qui peuvent aisément concrétiser leurs droits mais pas les plus défavorisés. Ceux-ci subissent en réalité une domination telle que leur soi-disant liberté se réduit à une simple chimère. C’est pourquoi il faut repenser la liberté de manière étendue à tous, de manière effective, comme liberté réelle pour tous. C’est ainsi que la liberté fait la place à l’égalité. A partir de cette notion de maximisation de liberté réelle pour tous se joue celle d’une allocation universelle la plus élevée possible, au regard de soucis d’efficience et d’efficacité économique.

En occultant la dimension de l’allocation universelle, l’idée – en tant que telle – de liberté réelle ainsi que celle de sa maximisation entre tous n’est guère nouvelle, on la retrouve chez Rawls dans la notion de maximin contenue dans le principe de différence. Il s’agit de maximiser la valeur minimale des biens premiers pour les plus défavorisés. Cela nécessite d’affecter des moyens réels et efficaces pour y parvenir. Pour Van Parijs, le meilleur moyen institutionnel est l’instauration d’un revenu minimum garanti sans conditions. Ainsi, ceux qui sont le plus démunis, ceux qui n’ont rien, doivent avoir le droit à ce minimum qui vient constituer la base de leur panier de ressources. La perspective de Van Parijs ne vise pas l’égalité en elle-même mais l’égale liberté réelle pour tous. L’égalité se retrouve ainsi en complément des deux dimensions de la liberté pensée par le libertarisme : la sécurité et la propriété de soi. Van Parijs pense cette égalité selon une vision égalitariste des chances à travers le leximin ou maximin lexical. Une structure juste, écrit-il, est telle que chacun y possède l’opportunité la plus élevée possible de faire ce qu’il souhaite[9]. Van Parijs mêle ainsi liberté réelle et liberté formelle. A travers le leximin, l’exigence solidariste prend en compte les plus défavorisés mais aussi après ceux-là, ceux qui se situent au-dessus de ce seuil et ainsi de suite, de façon à ne léser personne dans la distribution de la liberté réelle. La liberté réelle implique de manière intrinsèque le respect de chaque conception de la vie bonne. Chacun a le droit de mener celle qui lui plaît pour autant qu’elle ne nuise pas à la liberté réelle des autres. L’allocation universelle est à cet égard un bon point de départ pour Van Parijs. Elle produit par son universalité même l’affirmation du principe libéral rawlsien de neutralité entre les conceptions de la vie bonne.

L’idée est donc bien de donner à chacun les possibilités réelles et concrètes de mener sa vie comme chacun l’entend. En ce sens, elle offre des possibilités d’émancipations prometteuses.

Cette autonomie est censée être garantie en même temps par le caractère inconditionnel de l’A.U. Van Parijs décrit plus précisément quatre dimensions de l’inconditionnalité[10] : premièrement, elle concerne tous les membres de la société, deuxièmement, elle est tout à fait indépendante de la volonté de travailler ou non, troisièmement, elle ne prend pas en compte les personnes avec lesquelles on vit, ni, quatrièmement, où l’on vit. Plus loin, il précise, et c’est l’un des points d’achoppement, nous le verrons, de sa théorie, que le montant de l’A.U peut être inférieur ou supérieur à un niveau tel que des conditions décentes d’existences sont assurées[11].

Enfin, dernier élément qui argumente en faveur de la liberté réelle, l’A.U est préférable si l’on opte pour un revenu garanti à l’impôt négatif. En effet, on sait que ce dernier se présente ex post, c’est-à-dire qu’il implique un contrôle des ressources, il demeure conditionnel et confère à ses bénéficiaires un statut socialement peu enviable. Le contrôle des ressources demande une véritable enquête sur la vie du possible bénéficiaire, il interroge les revenus, la vie de famille, les périodes de maladies ou de chômages. Tous les types d’allocation conditionnelle peuvent avoir des effets intrusifs et stigmatisants que l’A.U ne possède pas. On touche une A.U non parce que l’on est pauvre ou désavantagé mais parce que l’on est le citoyen d’un pays qui accorde ce droit à tous. C’est bien l’idée d’un droit au revenu inconditionnel et universel qui apparaît là.

La querelle des surfeurs de Malibu et la question de la coopération sociale : justifier l’inconditionnalité pour tous de l’allocation universelle

Si un droit au revenu est accordé à l’ensemble de la population d’un territoire donné, il va de soi qu’une A.U serait distribuée à ceux qui ne travaillent pas, non parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi, mais parce qu’ils ont choisi une vie de « loisirs ». L’exemple canonique dans la littérature sur ce point est celui du surfeur de Malibu. Il procède du débat entre Rawls et Van Parijs pour lequel, insiste-t-il, les surfeurs doivent « être nourris »[12] par la société.

Déjà pourtant, Rawls avait fait l’objet d’une critique similaire à travers son principe de différence. Richard Musgrave avait pointé le risque de laisser maximiser les revenus et les biens premiers des plus défavorisés en oubliant de demander une contribution productive de leur part[13]. Nonobstant, la pensée de Rawls se présente aussi comme fondant une exigence de coopération sociale et de recherche de l’avantage mutuel. Soucieux de cohérence, Rawls a ainsi dans son deuxième ouvrage, Libéralisme politique, décidé d’introduire le loisir dans les biens premiers comprenant les avantages sociaux économiques[14]. Dès lors, en considérant un égal partage de ces avantages, il n’est plus admissible que des individus puissent profiter d’une vie composée seulement de loisirs. Le loisir est mis au même niveau que le revenu, il en découle que les salariés peuvent aussi jouir de certains loisirs tandis que les plus oisifs, si l’on peut dire, doivent s’acquitter de tâches productives. Cependant, indiquent Arnsperger et Van Parijs[15], cette dichotomie ne va pas sans poser quelques problèmes. En effet, tout d’abord, on sait que certaines activités productrices ou à fortes valeurs et utilités sociales ne sont pas rémunérées : le bénévolat, le travail domestique, etc. La coopération sociale ne dépend donc pas seulement du travail salarié ou de l’entreprenariat. Et même si l’on vient à contredire cette thèse, on imagine aisément que tous les types de travail ne sont pas égaux en intensité, en productivité, en valeur sociale, non plus qu’en termes de précarité, de stress, de pression et de domination.

Pour argumenter en vue de l’inconditionnalité totale de l’A.U, Van Parijs imagine deux individus qui possèdent des talents égaux, le premier appelé Crazy est un travailleur acharné, le second, Lazy, correspond à l’image du surfeur de Malibu[16]., Crazy travaille mais gagne un revenu assez faible quand Lazy peut jouir à loisir de son temps et se satisfait de son revenu garanti.

Pour répondre à l’objection de l’immoralité – et de la contradiction apparente entre liberté réelle et propriété de soi – de la situation dans laquelle Crazy travaille pour un salaire dont une partie va servir à financer l’A.U de Lazy qui surfe toute la journée, Van Parijs s’inspire de Dworkin en considérant un partage des ressources à la fois internes et externes, autrement dit tout ce qui est donné à un individu.

Dans un premier temps, Van Parijs imagine que sur l’île de Dworkin nos deux cobayes théoriques, Crazy et Lazy, soient également dotés en talents et en terrain pour les exercer, ce qui correspondrait à une dotation de liberté réelle distribuée de manière non-discriminatoire[17]. Crazy voudrait profiter d’une parcelle de terrain supplémentaire qu’il pourrait  louer à Lazy mais celui-ci ne le souhaite pas. De cette situation, Van Parijs conclut qu’il existe « un niveau non-arbitraire et légitime d’allocation universelle qui est déterminé par la valeur par personne des dotations externes de la société et qui doit entièrement être financé par ceux qui possèdent ces dotations. »[18] Ainsi si Lazy abandonne son terrain, il aura le droit à un revenu inconditionnel correspondant à la valeur de celui-ci. Crazy dispose également d’un tel revenu : en effet, il possède à la fois son terrain (qui représente sa dotation initiale) et une partie de celui de Lazy (qui représente son travail). On peut en déduire, dit Van Parijs, que dans une société de ce type, le niveau légitime d’allocation universelle est déterminé par la valeur des échanges équitables de terrains.

C’est une question de répartition des ressources telles qu’elles se présentent dans l’état actuel du monde. Cela revient à répartir de manière égale – sous le vecteur de la liberté réelle pour tous  – tout ce qui nous est donné de manière arbitraire, comme les terres, l’héritage, les dons.

Dans le monde réel, cela reviendrait – en prenant en compte les effets générationnels –  à taxer les biens et les legs à un taux de 100 % puis à redistribuer également entre tous le résultat sous la forme d’une A.U. Toutefois, un tel taux risque de décourager, en principe, toute épargne et tout travail. L’idée de Van Parijs est qu’il faut parvenir à trouver un taux optimal qui maximalise le rendement de la taxe tout en assurant un maximum d’égalisation des ressources à travers l’A.U. Cependant, même si une taxe à un taux de 100 % pouvait être appliquée, on ne pourrait guère financer un programme de revenu garanti pour tous à un niveau adéquat[19]. Il faut donc découvrir de nouvelles solutions.

Pour Van Parijs, si on analyse ce qui ressort, entre autres, des dotations externes, on peut déceler des rentes dues à un emploi que l’on occupe. Il y a quelque chose d’arbitraire au fait de travailler dans un monde où avoir un emploi est un avantage qui se raréfie. En extrapolant le raisonnement et en l’appliquant à la situation présentée ci-dessus, on peut imaginer que Crazy a été avantagé par ses talents, son éducation, sa motivation gagnée par le soutien de ses amis, la ville dans laquelle il réside, sa génération, etc.[20] Ainsi, a contrario, l’existence d’un chômage involontaire massif  ne peut être imputé à ceux qui en sont victimes. Ils peuvent avoir rencontré des circonstances inverses à celles rencontrées par Crazy. De plus, si l’on évacue la question du chômage, comme nous l’avons déjà remarqué plus haut, on peut penser que tous les types d’emplois ne se valent pas, certains sont bien plus intéressants ou épanouissants que d’autres. C’est ainsi que l’on peut parler de rentes d’emploi, des rentes qui sont dues non seulement au salaire gagné, mais aussi au prestige qui en émane parmi d’autres avantages qui viennent bien sûr en contreparties du travail à effectuer. Ainsi pour Van Parijs, il suffirait d’imposer les revenus tout en ne prélevant pas un montant supérieur à l’évaluation de la rente que rapporte un emploi. Le résultat de cet impôt viendrait s’ajouter à celui concernant les héritages et les legs pour financer l’allocation universelle. Van Parijs, sans trop s’y attarder, précise que les revenus du capital peuvent être taxés sur ce même modèle[21].

Il n’est pas sûrs cependant que tous les emplois apportent une rente plus que financière et qui procède évidemment du travail fourni. Certains travails sont précaires et avilissants, qu’on songe au travail en usine ou dans les abattoirs, la rente qui s’y attache semble bien plutôt négative. On peut penser alors que l’allocation universelle – puisqu’elle est inconditionnelle – permet de compenser cela par une taxation moindre sur ces types emplois et supérieurs pour des emplois prestigieux. Mais ne nous retombons pas dans un certain contrôle des ressources et du mode de vie ? Tout du moins, un tel contrôle ne serait opéré que par le fisc et non par des administrations annexes qui ne s’occuperaient que des allocations conditionnelles déjà existantes. L’effet inconditionnel, en droit, perdure.

Toute l’argumentation qui précède postule une égalité de dotations internes entre les individus, particulièrement, en ce qui concerne les talents et les compétences. Or, dans le monde réel, cette situation idéale n’existe pas. Les individus présentent des talents inégaux et des compétences différentes. Commet dès lors légitimer une taxation des plus talentueux pour financer un revenu garanti ? Comment échapper à l’objection qui soutient qu’une telle taxation correspond à un esclavage des plus talentueux ?

Van Parijs propose une solution qui résout, selon lui, en même temps les problèmes des handicapés avec celui que nous venons d’exposer à propos des emplois précaires : la diversité non-dominée. La diversité non-dominée est un critère de justice qui procède du critère de l’absence d’envie  : l’absence d’envie stipule qu’un individu A ne doit pas préférer la situation d’un individu B et vice-versa. Dans le cas de la diversité non-dominée, il faut que pour une paire d’individus donnée, l’ensemble des membres de la société ne soient pas unanimes pour préférer les dotations externes et internes (les talents ici) de l’un des deux individus par rapport à l’autre. Il y a diversité non-dominée dès qu’un individu A transfère une partie de ses ressources externes (qui sont réalisées en partie grâce à ses dotations internes) à un individu B tant que dans l’ensemble de la société il n’y a pas au moins une seule personne qui préfère la dotation globale de B à celle de A. Par exemple, imaginons que A dirige un grand institut financier au niveau international et que B soit femme de ménage dans un grand hôtel. Il est tout à fait légitime de taxer plus amplement A pour financer le programme d’allocation universelle qui profite à B[22], puisque la société préfère unanimement les dotations externes et internes de A par rapport à celle de B. Mais imaginons qu’une personne et une seule se mette, pour une raison quelconque et justifiée, à préférer la situation de B à celle de A ; dans ce cas, la diversité non-dominée est rompue. Par exemple, on découvre que B possède un talent artistique remarquable. On pourrait imaginer que quelqu’un, malgré les dotations externes de A, se mette à préférer cette dotation interne de B et que cela minimise l’existence de ses faibles dotations externes. Selon le critère de diversité non dominée, on ne pourrait dès lors plus justifier les transferts de ressources de A vers B. Ce critère paraît donc trop peu exigeant[23].

De plus, en tant que critère formel, il occulte tout à fait les différences psychologiques individuelles que peuvent produire, par exemple, des désirs de frugalité ou de biens immatériels contre des désirs luxueux, ainsi que l’exemple que nous venons d’exposer peut le montrer. A l’instar du critère d’absence d’envie, il compare des dotations d’individus en oubliant qui sont précisément ces individus, quelle sont leur histoire et leur singularité. Jean-Pierre Dupuy indique que l’usage de tels critères formels pour évaluer la justice de normes sociales ou politiques réduisent la psychologie humaine à une pure rationalité instrumentale[24]. Cette critique porte essentiellement sur l’économie normative et sur les théories de la justice formelles, à commencer par celle de Rawls. Ce type de critère peut constituer des outils utiles d’évaluation théorique de propositions normatives mais il ne doit pas faire oublier le réel psychologique et social qui anime les individus. L’envie n’en est qu’une de ses modalités et ne s’exprime pas de manière équivalente chez tout le monde.

L’échec de Van Parijs ?

Nous avons vu comment Van Parijs pouvait soutenir l’inconditionnalité de l’A.U, notamment en traitant de son financement. C’est ce à quoi nous allons nous intéresser ici et qui va aboutir selon nous à un dilemme. En explorant la dimension du financement de l’A.U, nous nous dirigeons avec Van Parijs vers la notion de soutenabilité. Il écrit à cet égard que « si nous nous préoccupons de la liberté réelle de tous, il est clairement inadmissible de donner à la société toutes les richesses actuelles, sous la forme d’une généreuse allocation universelle, au détriment d’un effondrement économique dans le futur. »[25]

Le financement de l’A.U doit être économiquement efficace, c’est-à-dire qu’il doit prendre appui sur la productivité réelle et soutenable de la société. Il ne s’agit pas de donner au plus pauvre une somme d’argent régulière et conséquente qui peut lui permettre de sortir de la misère, et au mieux, de s’émanciper, mais de lui donner une somme telle qu’il est possible d’étaler son attribution le plus longtemps possible. Mais dans cette perspective, le montant de l’A.U demeure bien bas et ses effets vertueux risquent d’être minorés voire inexistants. A cet égard, comment prétendre à favoriser une égale liberté-réelle-pour-tous ? N’y a-t-il pas une certaine contradiction à défendre une position réal-libertarienne et à déclarer que rien dans la définition de l’allocation universelle ne justifie de satisfaire les besoins fondamentaux des individus ?[26] La liberté réelle ne suppose-t-elle pas l’égalité pour tous de l’assurance des besoins fondamentaux ? Nous faisons face à un dilemme : soit l’allocation universelle est soutenable mais son revenu est trop faible pour prétendre à réformer, ou mieux, à transformer le jeu social ; soit son montant est suffisamment élevé pour le permettre mais sa mise en place se réalise au prix d’une dégradation du système économique actuel et à venir. Le montant de l’A.U proposée par Van Parijs se situerait environ à 200 euros par mois[27], c’est-à-dire à un niveau bien inférieur au S.M.I.C voire à l’ancien R.M.I, et surtout largement en-deçà du seuil de pauvreté qui se situe en 2009, en France, à 954 euros[28]. Van Parijs précise toutefois que rien non plus ne dit que l’A.U doit remplacer toutes les allocations existantes[29]. Toutefois, la richesse des sociétés actuelles et son mode de répartition effectif dans le capitalisme avancé ne permettent pas, en droit, un financement aussi large. L’éthos social réel et la volonté politique actuelle n’autorisent pas une redistribution adéquate qui permettrait de réévaluer la répartition des richesses. Les politiques publiques s’en ressentent particulièrement. Ainsi, la fiscalité est revue pour favoriser la compétitivité des entreprises tout en délégitimant le droit du travail. L’impôt progressif instauré au début du XXème siècle a glissé vers des modalités régressives[30]. Autrement dit, le taux d’imposition global comprenant les taxes a augmenté pour les pauvres et diminué pour les plus riches. De manière concomitante, les inégalités de revenu et de salaire se sont considérablement creusées depuis les années 1970.[31] Aussi, la part des cotisations sociales sur les revenus du capital a baissé pour augmenter au contraire sur ceux du travail. Ce qui signifie que les entreprises et les employeurs ont moins participé à l’effort collectif que les salariés.[32] La redistribution entre ceux qui vivent du capital et ceux qui vivent du travail est opérée dès lors en faveur des premiers. Inverser ces tendances pourrait laisser entrevoir des possibilités de redistributions plus larges permettant de financer un revenu garanti universel plus important.


[1] Devenu depuis quelques années le Basic Income Earth Network.

[2] Il s’agit pour cette organisation informelle de discuter de points essentiels de la justice sociale à partir des principes du marxisme analytique qui cherche à interpréter Marx sur les bases d’exigences stylistiques et logiques de la philosophie analytique et, de plus, avec l’aide d’outils économiques et mathématiques dans le but d’éclairer des problèmes contemporains.

[3] In Œuvres, vol. I,  Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1965.

[4] Vanderborght & Van Parijs (2005) Page 71.

[5] Geffroy (2002) Page 99.

[6] Voire comme un libertarien d’extrême-gauche. Cf. Van Parijs (1991) Page 211. Quand le libertarisme de gauche prône l’instauration d’une allocation universelle, c’est en considérant la commune propriété de la terre. Pour Van Parijs, la prémisse normative qui le pousse à défendre un revenu garanti inconditionnel est celle qui vise à garantir à tous une liberté réelle.

[7] Dont l’illustration la plus célèbre remonte une nouvelle fois à Marx.

[8] Ibid. Page 225.

[9] Van Parijs (1995) Page 25.

[10] Ibid. Page 35.

[11] Ce qui paraît par ailleurs constituer une certaine contradiction avec l’idée de liberté réelle.

[12] Cf. P.Van Parijs,« Why surfers should be fed? The liberal case for an unconditional basic income », Philosophy and Public Affairs, 20, 1991, pages 101-131.

[13] R. Musgrave, « Maximin, Uncertainty and the Leisure Trade-Off », Quaterly Journal of Economics, vol. 88, 1974, pages 635-632.

[14] Rawls (1995) Page 224, note 1.

[15] Arnsperger & Van Parijs (2003) Page 72.

[16] Van Parijs (1995) Page 93.

[17] Ibid. Page 99.

[18] Idem. Nous traduisons.

[19] Ibid. Page 102.

[20] Ibid. Page 107 ; Vanderborght & Van Parijs (2005) Page 75.

[21] Ibid. Page 119.

[22] Aussi à A bien-sûr, mais la taxation vient annuler le montant de l’A.U.

[23] Maguain (2002) Page 182.

[24] Dupuy Jean-Pierre, « Justice et ressentiment », Repenser la solidarité, dir. Serge Paugam, Paris, PUF, 2007, page 31.

[25] Van Parijs (1995) Page 38.  Nous traduisons. C’est Van Parijs qui souligne.

[26] P. Van Parijs, « L’allocation universelle, une idée simple pour le XXIème siècle », in Jean-Paul Fitoussi et Patrick Savidan, Comprendre, n° 4, « Les inégalités », Paris, PUF, 2003, page 179.

[27] Geffroy (2002) Page 105 ; Lafaye (2006) Page 283.

[28] C’est-à-dire 60 % du revenu médian pour une personne seule. Source : Insee. Le revenu est considéré après imposition et versement des prestations sociales. Avant 2008, l’Insee utilisait la méthode statistique de 50 % du revenu médian : le montant du seuil de pauvreté s’établit ainsi à 795 euros. Comme l’indique l’Observatoire des inégalités, « aucun seuil n’est plus juste qu’un autre, c’est uniquement une question de convention statistique. On aurait pu tout aussi bien opter pour un seuil à 40 % ou 70 %. » http://www.inegalites.fr/spip.php?article343. Cette donnée institutionnelle sur la pauvreté permet toutefois de montrer qu’un revenu garanti pensé à un montant très bas n’est pas en mesure de favoriser une émancipation économique suffisante. Surtout, si on songe à financer un tel programme sur la base d’une suppression des principales allocations déjà existantes.

[29] Van Parijs, ibid.

[30] Cf. notamment P. Rosanvallon, La société des égaux, Paris, Le Seuil, 2011, Page 296 ; ou C. Landais, T. Piketty, E. Saez, Pour une révolution fiscale, Paris, Le Seuil, 2011.

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